dimanche 11 janvier 2015

#Jemmerdecharlie


En ce dimanche 11 janvier 2015 se tient la manifestation pour la liberté d’expression. Des centaines de milliers de personnes (plus d’un million selon les médias) se réunissent aujourd’hui partout en France pour revendiquer leur droit, leur liberté d’expression.

Aujourd’hui se tiennent également de nombreux débats télévisés, débats calmes et respectueux durant lesquels on entend souvent « ne faites pas d’amalgames », « n’oublions pas les autres victimes », etc. Débats justifiés et utiles pour certaines têtes brûlées.

Sur les réseaux sociaux aussi, les débats sont diversifiés. Les mêmes sujets sont abordés et les participants réagissent pour la plupart de manière intelligente, réfléchie et civilisée.

Ce qui m’a cependant frappée, c’est l’apparition d’articles et de posts évoquant une conspiration, un coup monté. Toutefois, ces articles n’ont aucun fondement et aucune source d’informations fiable. De plus, ce genre d’articles fait plutôt transparaître un ras-le-bol de la surmédiatisation des faits du 7 janvier 2015 ainsi que cette envie de se démarquer des autres, qu’une réelle théorie de conspiration. J’ai souvent vu « marre de voir que ça partout ! », « c’est bon, on a compris maintenant », « de toute façon, on parle que de ça, mais on oublie souvent les attentats quotidiens en Syrie, Lybie, Israël et Palestine ». Tous ces statuts sont suivis du hashtag #Jemmerdecharlie.

C’est à ces gens que je voulais répondre.

Premièrement, vous établissez un rapprochement aux autres pays qui subissent des attentats constamment. Vous critiquez le fait que nous n’en parlons pas assez.

Tout d’abord, pensez-vous que nos journalistes soient là-bas en permanence, de manière à nous rapporter, tous les jours, qu’un attentat kamikaze a fait une trentaine de mort dans le centre d’un village perdu au fin fond de la montagne palestinienne ? La réponse est non. Pourquoi ? Un, la Une d’un journal qui est tous les jours identique, ça ne fait pas vendre. Deux, ça n’intéresse personne. C’est cruel, mais c’est comme ça.

D’ailleurs, vous dites vous-mêmes, au bout de trois jours seulement, « marre d’entendre la même chose en boucle ». Vous pensez que si tous les médias parlaient tous les jours des attentats quotidiens dans les pays précédemment cités, vous n’en auriez pas assez ?

Ensuite, les attentats dont vous parlez sont des attentats perpétrés et subis par des individus appartenant à la même communauté. Le reste du monde n’a donc rien à voir avec ces attaques. Je vois mal les médias Syriens, par exemple, parler de la prise d’otages de l’Intermarché de Marcinelle du 13 août 2014. Vous croyez que la Lybie a demandé une minute de silence après que Kim De Gelder a tué froidement deux bébés et une femme dans la crèche Fabeltjesland à Termonde en janvier 2009 ? Ça ne vous dit peut-être même rien.

Arrêtez donc de vous prendre pour les pourfendeurs de l’injustice subie par les victimes de ces attentats, et soyez honnêtes. Vous savez me dire ce qu’il s’est passé dernièrement au Togo ? Merci.

Les attentats qui ont marqué le monde depuis le 11 septembre 2001 jusqu’à aujourd’hui sont des attentats perpétrés par des fanatiques appartenant à une communauté religieuse totalement nouvelle, dont ils se revendiquent les judicieux créateurs, et nous touchent au plus profond de nos valeurs. Ces attentats sont proches de nous, touchent des amis, des connaissances, des voisins. Incapables d'exprimer quoi que ce soit, ces enragés lancent des attaques sanglantes, ils visent nos croyances, notre culture, nos droits, nos libertés. Ces attentats ne sont pas plus importants que les autres, mais leur impact sur nos vies est d’une bien plus grande envergure.

Je vous demande donc d’arrêter de vous voiler la face (pardonnez-moi l’expression) et d’être honnêtes avec vous-mêmes. Si vous êtes capables de me dire ce qu’il s’est dernièrement passé au Lesotho sans aller consulter quelconque source d’informations, félicitations, vous être prêts pour vous engager dans une cause humanitaire. Si pas, arrêtez d’essayer de vous distinguer des autres simplement parce que vous êtes à part et parce qu’un jour quelqu’un vous a dit : « tu es spécial(e), n’oublie jamais ça ». Vous n’êtes pas plus spéciaux que moi. Vous êtes, comme moi, un individu qui a sa propre personnalité et sa propre manière de penser, rien de plus.

Deuxièmement, vous parlez de conspiration, de coup monté.

Vous aussi, vous avez vu ces vidéos et articles reprenant des éléments des attentats qui ne collent pas ? Les rétroviseurs de la Citroën C3 étaient blancs puis apparaissent noirs ? Les djihadistes n’oublient pas de ramasser la chaussure qu’ils ont fait tomber, mais laissent cette fameuse carte d’identité dans le véhicule ? Les journalistes sur le toit prêts à filmer ? L’intervention des médias avant même celle des services de secours ? « Comme par hasard », certains dirigeants ont besoin de redorer un peu leur blason, c’est une bonne occasion ?

Je vous en prie, tout a évidemment été orchestré ! Sauf que les maestros sont également les acteurs de cette tragédie. Ils ont déclaré eux-mêmes désirer mourir en martyrs. Comment ne pas mieux accéder à cette dernière volonté que de se faire traquer comme une bête pour finir en gruyère sous l’impact des dizaines de balles tirées par ces racistes de Français ?

Au lieu d’essayer de sortir du lot en vous disant « ouais, moi, j’y crois pas, je ne suis pas un mouton de Panurge, je ne suivrai pas ce mouvement d’idiots qui gobent tout ce qu’on leur dit », essayez justement de vous informer un peu et de réfléchir un peu.

Je ne vous demande pas de montrer quelconque forme de respect envers les victimes des évènements survenus cette semaine, ce n’est pas ma place, mais je vous demande simplement de réfléchir et de faire preuve d’un peu plus de jugeote.

Enfin, ce hashtag, vous pensez sincèrement qu’il est d’usage ? C’est en réagissant de cette manière que vous passez pour des hipsters demeurés qui n’ont pas un gramme de neurones dans le ciboulot.

La liberté d’expression est un droit, un devoir fondamental. Chacun a le droit de parole, même si c’est pour dire d’immondes idioties. Et je le respecte. Je préfère vous entendre dire des imbécilités que de vous voir brandir des armes parce que les mots vous manquent. Je préfère entendre vos jérémiades parce que vous n’arrivez pas formuler votre frustration que de vous voir descendre dans la rue en vue de prendre un bain d’hémoglobine. Je préfère vous voir faire couler de l’encre que du sang.

Je suis Sarah, alias, Charlie, et je vous emmerde.


Comment je suis devenue Charlie



Mardi 6 janvier 2015

Je suis Sarah. Je rentre du boulot, il est 17h30. Je dis bonjour à mes parents, on mange la galette des rois. Pas de chance, je ne l’ai pas gagnée. Ce sera pour l’année prochaine.

Mercredi 7 janvier 2015

Je suis Sarah. Je pars au boulot, il est 6h30. J’écoute la radio en maudissant les files qui se forment sur le ring de Bruxelles.

J’arrive au boulot, il est 7h50. Je m’installe et je commence à travailler. Peu après, un collègue me demande ce qu’est Charlie Hebdo. Il est Flamand et ne connaît pas le journal satirique. Je lui explique donc ce qu’est Charlie Hebdo, pour entendre de sa bouche qu’il n’est plus. Une fusillade a eu lieu, les quatre piliers du canard et huit autres personnes ont perdu la vie.

Je ne me rends pas tout de suite compte des répercussions que cet acte barbare aura dans les heures, les jours à suivre. Au fil de la journée, les informations circulent, elles sont relayées par les réseaux sociaux à la vitesse de l’éclair.

Je rentre du boulot, il est 17h30. Je dis bonjour à mes parents, on passe à table. Je m’installe dans le divan et scrute le net et les journaux télévisés en quête d’informations supplémentaires, de vérité.

Ce soir, je suis devenue Charlie.

Jeudi 8 janvier 2015

Une nouvelle fusillade a lieu dans les rues de Paris. Une policière est mortellement touchée, un troisième homme se rend complice du crime contre la liberté d’expression originellement perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo.

Aujourd’hui, la chasse commence.

Vendredi 9 janvier 2015

Je pars au boulot, il est 6h30. J’allume la radio, espérant entendre que la chasse à l’homme a pris fin, révélant une issue funeste pour les trois assassins et une fin heureuse pour tout un pays, tenu en haleine depuis deux jours.Tout au long de la journée, j’attends une notification qui me fera sourire. En vain.

Je pars du boulot, il est 16h30. J’allume la radio. Flash info : deux prises d’otages sont en cours. Mon cœur se met à battre très vite, et je me rends compte, horrifiée, que rien n’est terminé. Les journalistes sur place sont aux aguets et tentent tant bien que mal d’informer leurs auditeurs, qui suivent de près l'évolution de la situation depuis les attentats du 7 janvier 2015.

Au fil des reportages, j’entends des détonations, des coups de feu, des cris. Les journalistes cèdent à la panique l’espace de quelques secondes, avant de reprendre un ton professionnel et posé. Ils s’accordent tous à dire « l’assaut final est lancé », « les forces de l’ordre mettent fin à une traque de trois jours », etc. J’ai à ce moment-là une boule au ventre et les larmes aux yeux. Des larmes de peur, de frustration, de joie, de colère, de tristesse, d’indignation, d’impuissance coulent sur me joues.

À ce moment-là, je suis triste d'apprendre que quatre otages ont perdu la vie dans le chapitre final des attentats du 7 janvier 2015, mais je suis également soulagée de voir ces trois sauvages rejoindre l’enfer qu’ils redoutaient tant. À ce moment-là, je suis contente de les voir punis, de les voir mourir au nom d'une religion qu'ils ont purement et simplement inventée. À ce moment-là, je suis contente qu’ils aient payé le prix de leurs actes. À ce moment-là, je suis Charlie.




Sarah, alias Charlie.